Amarante
Amarante
Il faut prévoir l’imprévisible et apprendre à voir l’invisible J’aimerais qu’on s’occupe du futur qui s’impatiente Grand-mère prépare des confitures à l’amarante Qui, j’en suis sûre, lui survivront en belles rangées sur l’étagère dans sa maison qui miroite en plein milieu de l’horizon J’aimerais qu’on offre une oraison déraisonnable aux fantômes messagers, passagers de nos atomes Omniprésents : mort, c’est vivant Ecoute les tombes : leur mélodie raconte la vie des gens partis aux demeurants, pour demeurer, pour démurer les demeurés pour emmurer l’hérédité pour emmerder les orthodoxes et amplifier les paradoxes C’est inspirant. Je veux prier pour n’pas être mort tout en vivant : car la tentation du néant atteint nos troupes apathiques, trop nanties, donc endormies Faut prendre des risques. – Mais c’est vrai que ça coûte cher, contrairement aux ulcères. Il faut prévoir l’imprévisible s’entraîner à dire l’indicible et apprendre à voir l’invisible J’veux qu’on imagine le futur qui s’ennuie en nous attendant tapant du pied et fulminant En clair, il est véner, et j’le comprends… à ma manière. Des fois je tisse des liens dans ma tête qui disparaissent Au fur à mesure du vacillement de l’innocence ; de l’endurance de l’illusion de la pleine conscience ; de l’usure des croyances ; de l’usurpation rusée de notre enfance fatiguée J’crois c’est pas grave d’oublier Par contre, faudrait pas renoncer. Toi – tu vois des choses alors t’y crois Parfois j’aimerais être comme toi Moi ? J’entends des voix qui ronronnent des refrains trop connus Pragmatisme faux-cul, vérités imbues d’elles-mêmes qui tournent en boucle à la dizaine Trop de certitudes pour exister. Pas assez de vide pour espérer Faudrait le créer. Alors descends sous la surface : les bruits sont sourds et y’a d’la place pour la folie, pour l’hérésie, pour l’hystérie, et même pour l’énurésie. Sous la surface, la densité efface les traces des vérités trop rationnelles, insurmontables, qui nous tracassent : Alors cessons de jacasser Et essayons d’nous réparer Si possible, sans culpabilité. Sous la surface, les fantômes parlent Y’a même le droit de s’suicider sans être jugé.e. Moralité : Il faut compter l’indénombrable et prendre soin des terres arables Il faut aimer l’innommable – et bien sûr les gens qui doutent Il faut crever les increvables Et soutenir les banqueroutes. Il faut chercher le faux du vrai, et bien sûr le vrai du faux Se faire l’orfèvre de la fierté des défauts de fabrication Et s’affoler de la folie de la raison. Faut éterniser l’éphémère Faire un toboggan d’une gouttière Faut s’trouver beaux dans la colère Et manger nos vers solitaires. (Bref, faut inverser les contraires.) Il faut prévoir l’imprévisible pour avoir le temps d’être libre S’entraîner à dire l’indicible et apprendre à voir l’invisible. Dans l’idéal, J’aimerais qu’on s’occupe du futur Habités par nos fantômes Pour repousser le glaucome. J’veux qu’on imagine le futur qui s’impatiente Grand-mère prépare des confitures à l’amarante Qui, j’en suis sûre, lui survivront, en belles rangées sur l’étagère dans sa maison posée juste là-bas, pile sur l’horizon. Faut pas hésiter à venir faire un tour à la belle saison.
(((Juliette Labuche)))
((juillet 2021))
(Saint-Segal Finistère)